– littérature

Ella Balaert -Compte-rendu de l’atelier d’écriture : Fables animalières (groupe d’adultes)

Tu n’as qu’à t’inspirer de la programmation de Clin d’œil, m’avait dit Philippe Braz, le Grand Résident de la saison, et par conséquent à mes yeux, le Responsable en chef des ateliers du mardi. Facile, dit comme ça. Par exemple : on joue Roméo et Juliette au théâtre, on écrit sur l’Amour.

Je regarde donc ce qui est prévu fin janvier : La Conférence des oiseaux, du poète iranien Farid Al-Din Attar (1177). Mince. Pas une petite affaire. Je connais Le colloque des chiens de Cervantès, Les oiseaux d’Aristophane, Le carnaval des animaux de Saint-Saëns, les Fables d’Esope et de La Fontaine, les fourmis de Werber, les truies de Darrieusecq, le Grand Zoo de Nicolas Guillèn,…mais la Conférence des oiseaux, je n’ai pas. Vite, je me précipite chez mon libraire, et les jours suivants, je dévore les aventures de la huppe et de ses compagnons. Contes, paraboles, propos de bouffons, contre les erreurs, les illusions, les vanités : j’avale tout. Le lecteur « affamé », « insomniaque » appelé de ses vœux par l’auteur, c’est moi, avide de l’« amoureux  tremblement » de la vérité.

Puis sonne l’heure de la restitution, sous forme d’atelier. En l’espèce, une petite vingtaine de personnes, prêtes à en découdre avec les mots, prêtes à aller chercher au fond d’elles-mêmes ces images qui n’attendent qu’un signal, une occasion et un public pour sortir et s’organiser en récit. Prêtes à rigoler et à passer un bon moment, aussi. Heureusement, d’ailleurs : ce n’est pas parce qu’on va parler de qu’est-ce que l’Homme et de qu’est-ce que la Vérité et de quelques autres Majuscules, qu’on ne va pas s’amuser. Allons-y, décrivons un peu cet animal pas tout à fait comme les autres, qu’est l’homme. Pas directement : par le biais de la fable animalière, des Puces, des Petits rampants ou des Grands mammifères, des Unicellulaires, des Mollusques, des Invertébrés, des rapaces, des Requins, des Girafes… Je précise les contraintes, le cadre du récit. Au début, on cherche ensemble, on jette pêle-mêle au  milieu de la pièce, en pâture, les carcasses des animaux les plus divers. Puis c’est à chacun de se choisir son espèce, ou son zoo.

On a le droit d’en rire, on a le droit de critiquer l’Homme.  Oh non, j’oserai pas, glisse avec un sourire modeste un participant, avant de se jeter sur sa feuille en grognant d’aise. Mais si, ce soir, on est des Hommnivores. Des carnassiers. On bouffe de l’homme sans retenue, ses vanités, ses prétentions, ses jalousies. Pas forcément par goût, mais enfin on y prend un certain plaisir, tout de même et ça glousse agréablement par dessus les tables quand vient l’heure du partage. La lecture finale sonne l’hallali. Le festin des hyènes, le concile des tortues païennes, la compagnie des éphémères, des araignées, des singes et leurs cousins peu fréquentables, tout un zoo…Nous autres, frères humains, en sortons un peu égratignés, de ces histoires, mais quoi, c’est qu’on aimerait bien se voir meilleurs.

A la fin du texte d’Attar, les oiseaux trouvent leur Roi. Mais  on ne peut le connaître, aussi se consument –ils en lui. Extase mystique. « En moi découvrez-vous vivants » leur dit-il.

Dans le train, épuisée par une longue journée, je m’abandonne à la somnolence, heureuse de mon inquiétude même: je sais que ma quête, à moi, ne fait que commencer.

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