Ella Balaert, atelier d’écriture « Oeuvres en cours » à Champigny
Champigny sur marne, 11 heures du matin.
On s’intimide réciproquement. J’incarne à leurs yeux la chose écrite, normative, officielle, souvent mise à distance par les institutions, voire interdite, même, pour certains; et devant eux, je vais parler d’un travail en train de se faire, ses tâtonnements et ses moments d’exaltation.
Pas n’importe quel travail : le roman que j’écris en ce moment n’est pas facile. Sujet douloureux, composition délicate, en parler n’est pas facile, devant eux encore moins, et qui plus est à voix haute, et dans son inachèvement.
Ils ont commencé à lire Quand on dix-sept ans, me posent des questions dessus. Je ne sais pas l’image que je vais leur envoyer du métier, durant ces quelques séances, mais je sais leurs a priori sur la question. Ils me les ont dits: un écrivain, selon eux, c’est quelqu’un de « fermé, renfermé, isolé, solitaire, austère, sans vie de famille ». « Un rêveur », « qui a de l’imagination, des idées dans la tête, des opinions sur tout ». « Une grande culture, des références et des citations plein la bouche ». « Quelqu’un de spécial ». « Qui fait des crises d’hystérie devant la page blanche ». « Les écrivains d’aujourd’hui s’intéressent à l’argent, et à la politique ». Leur imaginaire de l’écrivain sort aussi tout droit des manuels et des cours sur le XVIII ème siècle. « L’écrivain veut changer le monde, l’améliorer, c’est un philosophe, qui fait voir le monde autrement ». Mais « il se sent impuissant à changer le monde ».
En ce qui concerne leur écriture, le travail a consisté à concevoir, organiser, écrire, un roman collectif qui travaille les variations de regards (un prof de français dirait de point de vue) . Ils se heurtent ainsi aux difficultés qui sont les miennes en ce moment, dans mon « oeuvre en cours », et qu’ils ont aussi pu analyser dans le roman Quand on a dix sept ans.
Je ne parle ici que des difficultés techniques, de méthode de travail et de choix d’écriture. Mais il y a les autres difficultés. Le lycée n’est pas très drôle, le quartier n’est pas marrant. Un jour, la moitié des élèves sera absente (surtout les filles): la veille, un jeune du lycée a reçu un coup de couteau dans le ventre, un ministre s’est déplacé sur le terrain, avec journalistes et gardes du corps. « On ne parle de nous que dans ces cas-là », soupire une jeune fille, qui demande à sortir à l’infirmerie: elle a des crampes au ventre.