Fictions de rue (5) : Go les Egos!
— Génial ! Extraordinaire ! Le concept, n’est-ce pas, le concept ! Je reprendrais bien une coupe, s’il vous plait. La modernité, c’est le moooi, c’est évident.
Il avait longtemps hésité sur le nom à donner à cette nouvelle série de photos. Le galeriste avait proposé un titre, un éditeur avait approuvé, les deux contrats furent signés en même temps.
— Et vous avez fait ce tour du monde en combien de temps ? Huit jours ? Tant que cela ? Ah oui, bien sûr, vous avez raison, vous ne pouviez pas visiter plus de trois pays par jour, je comprends. Et là, c’est où ? Devant la banquise ? Mais oui bien sûr, suis-je bête, on vous voit le poil un peu hérissé. Et là ? Devant le Pont des soupirs ? évidemment… cette obscure clarté au fond de la cicatrice…
L’exposition s’intitule Tour du monde d’un ombilic. On y voit le nombril du photographe devant les plus célèbres lieux du monde, la Tour Eiffel, la muraille de Chine, la pyramide de Gizeh, dans une allée de Central Park…
— Mais elle est où, la petite sirène ? demande un enfant devant une photographie prise, selon le catalogue, à Copenhague.
— Elle est derrière le monsieur.
— Mais on ne la voit pas, insiste l’enfant. Il n’y a qu’un nombril !
— Chut ! Justement, c’est là tout l’intérêt. Ça s’appelle un selfie. C’est moderne. C’est un concept : désormais on tourne le dos à ce qu’on photographie. Tu comprendras quand tu seras grand.
Paris – Jana und Js
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